Maintenance, infrastructure et formation inclus, la transaction est évaluée à 50 milliards de dollars australiens, soit 34 milliards d’euros, pour une mise en service à partir de 2027.
A faire oublier la vente des Rafale en Egypte ou au Qatar : la France, et avec elle toute sa filière navale militaire, est bien parti pour remporter l’un de ses plus importants, si ce n’est « le » plus important, contrat d’armement à l’exportation depuis 1945. Malcolm Turnbull, le premier ministre Australien, a appelé François Hollande dans la nuit de lundi à mardi pour lui annoncer que son pays avait retenu l’offre de DCNS pour la construction de 12 sous-marins hauturiers face à celles de l’Allemand TKMS et du consortium japonais formé de Mitsubishi et Kawasaki.
Maintenance, infrastructure et formation inclus, la transaction est évaluée à 50 milliards de dollars australiens, soit 34 milliards d’euros, pour une mise en service à partir de 2027. Selon Reuters, la part revenant à DCNS avoisine huit milliards d’euros.
« Le comité d’évaluation a conclu sans équivoque que l’offre française était la mieux à même de répondre aux besoins de l’Australie », a déclaré le Premier ministre, mettant en avant les 2.800 emplois qui vont être créés à Adelaïde avec ce contrat. La précision prend toute son important car les retombées économiques associées à ce contrat ont constitué un sujet de débat politique en Australie ces derniers mois.
Milliers d’emplois créés en France
Dans un communiqué, l’Elysée a mis en avant le caractère « historique » du choix de l’Australie et la durée du partenariat qui va lier les deux pays. « Ce nouveau succès sera créateur d’emplois et de développement en France comme en Australie », a ajouté la Présidence de la République, indiquant que Jean-Yves Le Drian allait se rendre rapidement sur place.
Invité d’Europe 1 ce matin, le ministre de la Défense français s’est réjoui de cette « grande victoire de l’industrie navale française », tout en rappelant « la longue habitude de coopération avec l’Australie ». « Ce sera des milliers d’emplois en France, des contrats de très longue durée (…) Nous nous sommes ’mariés’ avec l’Australie pour 50 ans », a-t-il déclaré.
Le président de la république est attendu à 16H15 au siège du groupe DCNS, où il prononcera une allocution, en présence notamment du PDG du groupe Hervé Guillou.
Après l’appel d’offres, vient le temps des négociations. « Tout reste à négocier », a indiqué Marie-Pierre de Bailliencourt, la directrice générale adjointe du constructeur. . « Nous avons proposé un partenariat comprenant un plan industriel australien et un transfert technologie ».
Elle a dit ne pas être inquiète concernant l’impact sur la poursuite des négociations de la tenue d’élections en Australie prévues en juillet. « Ce qui nous a fait gagner, c’est une très bonne relation avec notre client avec qui on a eu un dialogue sain et permanent », a-t-elle ajouté, mettant aussi en avant la supériorité technique et le fait que la France soit un Etat souverain.
Le choix de l’américain Lockheed Martin ou de son compatriote Raytheon pour l’armement des sous-marins ne comporte « aucun enjeu » pour DCNS.
Pour l’emporter, DCNS, et son actionnaire et partenaire Thales (qui fabrique les sonars notamment), a misé sur une version à propulsion classique du Barracuda, la nouvelle génération de sous-marins nucléaire d’attaque de la marine nationale en cours de livraison. Outre ses capacité à naviguer sur de longues distances, un point a sans doute fait la différence : la discrétion, la France ayant visiblement accepté de transférer sa technologie de furtivité, quasi unique au monde. Le lobbying politique de très haut niveau a aussi compté avec notamment la visite sur place de François Hollande l’année dernière, avec un stop remarqué au sein de la filiale locale de Thales.
DCNS, qui a dû engager une restructuration après s’être trop diversifié, dans le nucléaire civile notamment, n’en est pas à son premier succès à l’export. Le champion naval militaire français a vendu ses sous-marins classiques Scorpène à l’Inde, la Malaisie ou encore au Brésil. Mais c’est la première fois qu’il engrange un succès pour un dérivé du Barracuda. Le programme a connu quelques déboires en France , non pas d’ordre techniques mais organisationnels, qui ont plombé les comptes du groupe français en 2014.
Menace chinoise
Très liée à la Chine économique, l’Australie voit cependant avec inquiétude, comme tous ses voisins, Pékin pousser ses pions dans différentes îles des environs, renforçant les risques d’escarmouches, voire de conflit, dans une zone où transitent la majorité des flux commerciaux du monde. Dans ce contexte, Canberra a décidé de remplacer ses vieux sous-marins de classe Collins, pour faire arme égale avec son imposant voisin du nord.
« Nous avons besoin de sous-marins capables d’évoluer très loin. Nous avons besoin de la capacité de rester indétectables durant de longues périodes, nous avons besoin de sous-marins silencieux, avec des technologies de radars avancées pour détecter les autres sous-marins », a précisé la ministre de la Défense, Marise Payne.
Déception en Allemagne et au Japon
Chez TKMS la déception risque d’être immense tant les appels d’offres de sous-marins sont rares. Le constructeur allemand, qui se dispute le marché ouvert des sous-marins avec DCNS, a proposé une version allongée d’un navire qui n’existe à ce stade qu’à l’état de projet. Qui plus est, il n’a pas pu compter, en Australie, sur un appui politique important : bien que disposant d’une industrie d’armement importante, l’Allemagne reste toujours très réservée vis-à-vis de ces questions, de peur de froisser son opinion publique.
Mais c’est au Japon que l’annonce de la victoire française a jeté le plus grand froid au sommet de l’Etat. Shinzo Abe, le Premier ministre, s’était personnellement investi dans la conquête de ce contrat, qu’il avait dans un premier temps cru pouvoir emporter sans véritable appel d’offres. Cultivant sa complicité avec l’ancien Premier ministre australien Tony Abbott, écarté du pouvoir en septembre dernier par l’actuel chef du gouvernement, le dirigeant nippon avait vu dans la vente de sous-marins de type Soryu la célébration de la grande alliance stratégique entre Tokyo et Canberra dans une région Asie-Pacifique de plus en plus inquiète des prétentions territoriales brutales de Pékin.
Tokyo était par ailleurs convaincu que leur grand allié américain allait, en coulisses, pousser l’Australie à opter pour des sous-marins japonais équipés de systèmes américains afin de disposer d’un haut degré d’interopérabilité entre les bâtiments des trois armées.
Peur de braquer Pékin
Ces dernières semaines, des déclarations américaines et australiennes laissant entendre que le choix se ferait avant tout sur des considérations techniques plus que sur des aspects stratégiques avaient affolé Tokyo et poussé les lobbyistes japonais a redoublé d’efforts. Sumio Kusaka, l’ambassadeur du Japon, avait même pris personnellement la plume pour répondre une à une aux critiques de l’offre japonaise apparues dans les médias australiens.
Réagissant, dans la matinée, à l’annonce de la victoire française, le conglomérat MHI a indiqué qu’il trouvait « profondément regrettable que les capacités japonaises n’aient pas été suffisamment communiquées ». A Tokyo, des sources proches de la candidature japonaise expliquent que l’Australie aurait finalement eu peur de braquer trop directement Pékin en offrant au Japon un contrat d’une telle ampleur financière et stratégique, qui aurait dopé sur la scène internationale les capacités d’une industrie militaire nippone que Shinzo Abe cherche à réveiller. D’autres commentateurs étrangers assurent toutefois que les réticences d’une partie de la haute administration japonaise à accepter de larges transferts de technologie et d’importantes délocalisations de travail en Australie auraient agacé les décideurs de Canberra.
Les échos.
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